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1 janvier 2009 4 01 /01 /janvier /2009 12:17

Le mot, dans sa toute première fonction, désigne. Il facilite, accélère la transmission de l'information. Mais, dans le même temps, il instaure une distanciation d'avec les choses.

Wittgenstein écrivait : "un mot n'a pas un sens qui lui soit donné pour ainsi dire par une puissance indépendante de nous, de sorte qu'il pourrait ainsi y avoir une sorte de recherche scientifique sur ce que le mot veut réellement dire. Un mot a le sens que quelqu'un lui a donné.". Le scientifique Etienne Klein ajoute : " Ainsi, il faut reconnaitre que le sens d'un mot n'est rien d'autre que les façons qu'on a de s'en servir, sans qu'on soit sûr qu'il y ait quelque chose derrière".

Au départ, bien sûr, il y a quelque chose derrière : l'objet, l'objet concret désigné par le mot. Mais le mot, une fois créé, s'"envole", prend son autonomie. Non seulement il passe de la désignation d'objets et de rapports très simples entre les objets (dans le protolangage du tout jeune enfant, par exemple) à celle, plus élaborée, de ce qu'on appelle des "concepts" (et là, le langage se complexifie) mais encore l'imagination humaine s'en empare, pour créer sa dimension métaphorique.

La métaphore est une démarche fondamentale de l'esprit humain, qui consite à se "rassurer" face au nouveau, à l'inconnu, face à la découverte, toujours un peu déstabilisante, d'une réalité inédite.

Dans cette démarche, tout se passe un peu comme si on forgeait un pont entre la réalité déjà connue, désignée par les mots qui y correspondent selon la convention culturelle, et la réalité nouvelle, celle qu'on est en train de découvrir. Un exemple ? La "mère-patrie". Le concept de mère, point n'est besoin de s'attarder là dessus, est un concept humain basique, qui s'élabore au cours de la toute petite enfance. Celui de patrie s'installe dans les esprits beaucoup plus tard.

La "mère-patrie", c'est le rattachement de la patrie à la mère. C'est une élaboration du concept de "patrie" sur le mode affectif. Une sorte d'immersion d'une abstraction (d'un acquis tardif imposé par la culture, qui ne va pas de soi et qui, au départ, est difficile à intégrer) dans l'affectivité tripale.

La métaphore, on le voit au travers de cet exemple, a un caractère profondément affectif. Or on sait maintenant de façon sûre, à la lumière des plus récentes recherches neuro-scientifiques, que l'affectivité est indissociable de la pensée humaine.

Les scientifiques éprouvent un certain malaise à l'égard du mot. Il s'en défient, car leur propos est de décrire le réel tel qu'il est. Or, le mot constitue un "brouillage" culturel et affectif. Une sorte d'obstacle à cette appréhension détachée et culturellement universelle de la réalité "en soi" que la science (qu'elle soit "pure" ou humaine) ou même la philosophie se proposent de rechercher.

Les mots participent du "pour soi" de la condition humaine. Les métaphores y participent de manière encore plus patente.

Il est fascinant de penser que la mathématique et les techniques de la physique et de la biologie ont permis de lever le voile sur certaines questions tenant aux origines mêmes de la vie (par exemple, le code génétique) et du cosmos, cet infiniment grand qui nous environne (big-bang, couplage espace-temps, couplage matière-énergie, expansion de l'univers, particules élémentaires, entre autre).

Cependant le XXème siècle, héritier conquérant du scientisme qui, au XIXème siècle, s'imaginait que tout était scientifiquement connaissable et explicable, dans le droit fil, du reste, de la tradition des Lumières et de sa confiance un peu aveugle en la sacro-sainte Raison, a vu, contre toute attente, mesure et équations buter contre leurs propres limites, avec la mécanique quantique (et son troublant constat d'incertitude quant à la mesurabilité des phénomènes propres à l'infiniment petit, lequel fonde le monde de la matière, l'infiniment grand et nous-mêmes) et le théorème d'incomplétude de Kurt Gödel qui, lui, cernait les limites mêmes de la mathématique, en tant que système.

La mathématique, on le sait maintenant, peine à décrire la complexité (même si, bien sûr, elle s'y essaie).

Or la Vie est, déjà, un phénomène infiniment complexe. Alors, que dire du cerveau humain et de sa production : la pensée ?

Ce que la science, à présent, tente, paradoxalement, de nous dire, c'est que nous sommes prisonniers de nos limites (tant sensorielles que cognitives).

En ce sens, on peut dire qu'elle rejoint la tradition philosophique de l'ancienne Inde, qui donna lieu à l'hindouisme moderne et au bouddhisme. Comme le dit la philosophe des sciences Isabelle Stengers, les réponses qu'on obtient dépendent toujours des questions que l'on pose.

Les questions que la science elle-même pose sont liées à une réalité humaine autant biologique, sensitive que de nature culturelle, historique.

Est-on sûr que ces questions -et leurs réponses- sont si différentes de celles que produisent les mythes, la littérature, la poésie ?
Il serait temps, me semble-t-il, que la science se montre un peu moins hautaine, un peu moins attachée à la "supériorité" qu'est censée lui apporter son détachement des "phénomènes d'ordre subjectif et affectif".

Certes, pour connaitre, il faut être en recul par rapport au ressenti.

Mais le langage n'est-il pas l'origine même de la démarche connaissante ?

 

 

Patricia Laranco.

in revue « Le Trait d’Union Littéraire », Janvier 2007
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