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30 mai 2012 3 30 /05 /mai /2012 09:11

 

UNE LIMITE.

 

Les chemins dans la nuit. Croisés à angles droits.

Escortés par des haies basses obscures et touffues.

Une sorte de labyrinthe en damier. Vaguement moiré par l’éclat d’une lune nuageuse.

Là-dedans n’est que le silence humide, qui flotte. Que l’odeur du vent, houle ridée, membraneuse.

On a l’impression que l’étendue se tapit. Qu’elle se laisse aplatir par le couvercle du ciel.

On erre. Résigné. Seul. Réduit au silence.

Il n’y a guère qu’un seul parti à prendre : se faufiler inlassablement tout au long des routes resserrées et trop droites qui n’en finissent pas de se ressembler  à s’y méprendre avec leur cortège de buissons au-delà desquels dort, enfouie dans l’obscurité plate et secrète, la terre grasse de potagers que, sans savoir trop comment, l’on devine eux aussi tirés au cordeau de façon parfaite.

Et l’on franchit ainsi des kilomètres imperturbables d’ombre lustrée, de nuit quadrillée, sans en apercevoir le bout…

De loin en loin, des cyprès isolés se dressent, en d’étranges torsades vangoghiennes de feu noir qui semblent décidées à fouetter ou à étreindre la clarté nocturne vide et béante du ciel.

On identifie de même, ici et là, au détour d’une haie, le haut fuselage de peupliers dont les feuilles, non contentes d’avoir des allures métalliques, trouvent le moyen de remuer et de clignoter avec de légers tintements, ainsi qu’à terre, des formes à la pâleur à peine détachée qui évoquent des rangées de longues tentes de toile dont on ignore ce qu’elles abritent.

L’atmosphère est bizarre, elle a un je ne sais quoi d’envoûtant. Quelque chose lévite, erre, en suspens, qui pourrait bien, d’un seul coup, se cristalliser en angoisse. Mais ce qui monte du sol n’en est pas moins indéfinissablement caressant, comme si la texture de la nuit était de feutre, et cherchait à griser.

Les plaques d’ombre sont bombées, polies, d’un noir concentré et brillant. Les contours sont délimités par de fins festons d’argent lunaire tirant sur le miel.

L’impression d’être une souris lâchée dans un dédale de carton comme lors d’une quelconque expérience scientifique ne vous quitte pas.

Et puis, sans crier gare, la route rectiligne s’ouvre sur un village. Le ciel, plus clair, balance sur vous une bouffée d’air soudain plus vive. Comme si tout se déchirait…

A l’entrée du hameau, vous vous arrêtez. Le chemin s’est élargi.

Etonné, vous regardez les quelques maisons aux murs bleu-nuit, en vous demandant, assez curieusement, si ils sont en pierre ou bien en bois.

Vous notez la présence blafarde d’une petite église en planches à la silhouette ceinte d’une clôture de fil de fer barbelé rectangulaire.

En vous approchant davantage, vous réalisez que la clôture entrelace, en fait, aux barbelés, un réseau de guirlandes électriques de Noël éteintes.

Et voilà que l’haleine du silence se met à palpiter.

Le ciel devient une gigantesque membrane qui projette un long souffle. Plus bas, l’horizon, dans la trouée entre les bicoques, se révèle être un bourrelet de terre où étincèle doucement la ligne de rail d’une voie ferrée.

On n’est pas mécontent de voir que le paysage a enfin une limite.

 

Patricia Laranco.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ce n’est pas la première fois que l’auteure aborde ce thème de la marche nocturne à teinte existentielle où celui ou celle qui marche de son propre gré (libre arbitre) tout en étant guidé par le tracé du trajet (déterminisme, ou fatalisme). Et le noir du lieu où il accomplit cette marche symbolise la confusion et la méconnaissance du but.

Cependant, ce n’est pas la marche en soi qui préoccupe la locutrice cette fois. C’est plutôt la dualité de l’illimité et du limité dans l’espace qui hante son esprit, étant donné que c’est à travers lui que les êtres effectuent leur marche. Et pour être bien précis, c’est le premier constituant de ce couple, à savoir l’illimité, qui la tourmente tout particulièrement, et c’est pour cette raison que l’auteure lui a consacré la plus grande partie du texte (jusqu’à : « Et puis, sans crier gare, la route rectiligne s’ouvre sur un village… ») . Et ce passage de l’illimité angoissant à son contraire, le limité apaisant et réconfortant coïncide avec deux autres passages : de la solitude à la présence humaine et de l’espace pur à l’espace qui a subi l’intervention de l’homme (village, église, voie ferrée) .  Mais, si ces trois passages simultanés ne suffisent pas ensemble à éradiquer le mal existentiel qui ronge la locutrice, du fait que l’idée de l’illimité est contraire à la logique qui régit la vision de l’univers chez l’être humain, la notion du limité qu’il a créée et mise en application est reçue par elle comme une petite consolation (« On n’est pas mécontent de voir que le paysage a enfin une limite ») .

Enfin, dans ce nouveau texte, l’auteure nous fait part des tracas philosophiques intenses que lui cause une autre problématique à laquelle les scientifiques n’ont pas encore trouvé de solution. Et à cette occasion, nous ne pouvons que regretter la mort du génie Einstein qui avait réussi à démontrer avec des preuves irréfutables le caractère illusoire de la notion du temps qui n’existe point à la vitesse de la lumière. Ce qui a résolu définitivement les problèmes que posaient les concepts de l’avant, du maintenant et de l’après, tous créés par l’Homme.

Si Einstein avait vécu encore quelques années, il aurait peut-être démontré aussi que l’espace n’existe que dans nos illusions.

 

 

Mohamed Salah Ben Amor.

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