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2 janvier 2009 5 02 /01 /janvier /2009 11:29

Cet extrait de « Poèmes de Pierre Flandre »(1936) met en scène un dialogue entre 2 personnages, Pierre et Ananda :

-Pierre :où fuir, Ananda ?

-Ananda :nulle part. Demeure ici . Des dieux propices veillent sur cette île, un des derniers lieux au monde où l’homme puisse garder le sens de la nature et de la liberté intérieure, de la lumière, de la Beauté, de l’évasion en soi-même.

-Pierre : Ecoute Ananda :je l’ai pressenti

.              dès mon enfance attentive à ses voix.

              j’ai vu un dieu dans tout buisson ardent

               qu’est l’arbre ou la colline en proie au soleil tropical

              J’écoutais chantonner la rivière

              qui fuyait entre les jamrosas.

              Elle me disait :Sois fluide

              et musical comme mon eau.

              Echappe à toute étreinte et glisse entre les pierres,

               cours en chantant parmi les rives immobiles,

              d’accord avec la brise et les oiseaux du ciel.

                                                               Extrait de « Poèmes de Pierre Flandre »,1936.

 

Ensuite, vient Malcolm de Chazal. Avec de Chazal comme avec Baudelaire, tout, dans l’univers, est relié. C’est la loi des « correspondances », que le poète seul sait révéler, et qu’il se doit de révéler. De Chazal développe toute une mythologie de la Lémurie, marquée par une imagination débridée. Pour lui, Maurice est un « écrin » qui renferme « tout le mystère du monde ». Par sa pratique du délire contrôlé, son goût pour la transe vertigineuse, voire la prophétie, son don avéré pour les trouvailles fulgurantes, déconcertantes, son style grandiose et abrupt, Chazal apparaît comme un poète singulièrement troublant.

Voici un extrait de son fameux « sens plastique »(1948)

              Les sous-bois rendent la lumière joufflue.

              Nuages bas servent de presse-papier au vent.

              Le nuage est un parapluie d’eau, que baleine le vent.

              [……] L’eau a voix d’homme dans le ruisseau, et voix de femme dans le jet

              d’eau.

              [……] Virgules bleues ; points blancs ; points d’exclamation jaunes ; tirets gris ; deux points mauves…Mauve :couleur qui ne commence ni ne finit ; barrière à claire-voie entre les teintes ; nuance flottante par excellence ; bac des teintes.

 

Joseph Tsang Mang Kin, écrivain sino-mauricien comme son nom l’indique, nous donne une poésie qui ressemble à celle de Hart en ceci qu’elle cultive le thème de la nostalgie de l’enfance. Elle trouve son axe principal dans une recherche d’absolu qui s’appuie en premier lieu sur la contemplation du monde et en second lieu, sur la descente dans le profond de lui-même, ces deux démarches aboutissant chez lui à un émerveillement d’ordre cosmique. Il reste fidèle aux référence de sa culture d’origine. Son style est serein, dépouillé. En voici un petit aperçu :

             Lente ascension vers la colline

              vers le flanc de lumière

             où la stèle funéraire

              veille

 

             Là l’autel ancestral

             comme un immense fer à cheval

             s’étale

 

             il encercle le temps

 

             il arrête l’espace.

                                                             Extrait de « Le Grand Chant hakka »,1992.

 

Issu de la petite bourgeoisie créole, Pierre Renaud (1921-1976) illustre, pour sa part, le courant de la négritude. Nous avons vu qu’il s’agissait d’une négritude feutrée, et, en effet, chez Renaud, la voix se complait dans l’implicite, le non-dit. Autodidacte, doté d’une personnalité tendre et tourmentée, Renaud, dans son écriture poétique, cultive l’ingénuité, la simplicité d’expression, ainsi que l’attachement au terroir. Poète créole quelque peu coincé dans ses complexes ataviques, il recherche volontiers le patronage de la bourgeoisie blanche (dans le choix de ses préfaciers et de ses illustrateurs, par exemple). C’est un auteur mélancolique, qui exprime un malaise persistant, un malaise qu’il doit à son identité très problématique, et qui est chez lui une source de dépressivité profonde. Son humilité, sa tristesse le portent vers des confidences intimistes, ayant en particulier trait à l’unique amour de sa vie, un amour totalement idéalisé de type « amour courtois » pour une fille blanche inaccessible, qui devient la Dame de ses pensées. Par ce biais, il laisse filtrer sa fascination de la blancheur, une blancheur qu’il révère en liaison avec l’éducation profondément catholique qu’il a reçue. Auprès de ça, il développe,nous l’avons dit, le thème de la célébrations de ses origines africaines retrouvées :

                  frère d’afrique

                  il me faut un tam tam

                  donne-le moi

                  pour la mémoire libérée

                  pour la mémoire pardonnée

                  la légende vivante [……]

 

                  prête moi voix de kora

                  frère d’afrique

                  et voix de balafon

                  je veux te rencontrer

 

                  je veux te rencontrer

                  là où sourd la musique

                  réveillant les siècles

                                        les seins

                  les reins les sexes

                  à la source maternelle

                  de terre et d’eau

                  et de vie.

                                                            Extrait de « Les balises de la nuit »,1974.

 

Nous arrivons maintenant aux écrivains du métissage. Emmanuel Juste (né en 1928), a écrit une œuvre dispersée dans journaux et revues. Son poème le plus connu, « Mots mar-(te)lés », nous offre des images plutôt violentes et une langue éclatée qui font penser à Aimé Césaire :                    

                   Ovale la vie outre-cri

                   Le métis est outre-nègre

                   Ovale la vie outre-sang

                   Le métis est moyen âge.

                   […………]

                   Ovale

                   Remis de ses blessures

                   Le métis moyen âge

                   est parti, sans laisser de portes

                   se faire une faute d’orthographe

                    et un poème cruciforme

                  Dans la mémoire du monde

                  Le métis a la peau dure

                  Il n’a ni talons, ni dos.

                  Dans la mémoire du monde

                  Un fruit martèle rouge un

                  panier de soleil.

 

 

                                                     Edward-J Maunick (né en 1931) est sans doute l’écrivain le plus représentatif de la « mauricianité », en ce qu’il est résolument le poète des rencontres, des mélanges de sangs, de l’ouverture au monde. Son œuvre, réputée difficile, comprend quelques 12 recueils, de tons et rythmes très variés. Sa langue est fortement travaillée par les rythmes de la langue créole. Ami d’Aimé Césaire, il a subi l’influence du courant de la négritude. Dans la vision généreuse de Maunick, la vocation du métis est de s’ouvrir à toute la vastitude du monde. Il l’élève donc à la dignité de quintessence de l’Humain.

                 la mer la mer toujours me racontera debout

                     m’ayant arraché à la solitude

                 j’étais soi-disant victime à genoux

                     mis au ban de l’universel banni de l’immense

                 mes yeux étaient cloués au nombril

                      d’une île chassée de l’Afrique par une guerre tellurique

                 des pans de mer m’exilèrent

                       de l’équateur une lame de mer trancha les amarres

                 [………….]

                 mais la mer revint sur ses pas

                        du plus loin-profond des crevasses des déserts d’algues vives

                 me remit debout d’un grand coup

                        de mascaret me replanta volte face à l’horizon…

 

                 Je ne pèserai jamais du poids d’avoir mal

                         adieu les histoires de paria natal

 

                 l’homme blanc qui prit ma grand-mère

                         dans son lit refusa de donner son nom à ma mère

 

                 ainsi ma mère put épouser

                         mon père lui-même petit-fils de coolies venant des Indes

 

                 que voulez-vous que j’y fasse

                         qu’ai-je à corriger de tout ce qui se perpétua avant moi

 

                 sinon rire pour falsifier le crime

                          et bâtir ma chair plus solide que chagrin

 

                 regardez-moi quelle blessure de jadis

                          lisez vous sur mon visage sinon la lumière

 

                 je suis au monde pour ne jamais

                          plus peser du poids d’avoir mal d’être de sang mêlé

 

                 métis veut dire lumière métèque veut dire bonjour :

                           dans la lumière donc je vous salue…

                                                                     Extrait de « Fusillez-moi »,1970.

 

Voici venu le temps de la conclusion.

L’île Maurice, devenue adulte, a réussi à faire émerger sa parole propre. Une parole qui, avant toute autre chose, me semble-t-il, questionne l’identité, le « comment y voir clair dans cet inextricable fouillis de sangs mêlés, d’influences culturelles venues de tous les horizons du globe ? », en un mot la difficulté d’être mauricien.

Etrange Maurice, simultanément si « étroite » et si universelle, si fermée et si ouverte, si marquée par le métissage et si portée dans la vie sociale courante à sa négation !

L’idéal de cloisonnement ethnique propre à Maurice est très difficile à éradiquer. Maurice est née d’une violence fondatrice, d’un traumatisme originel :celui du colonialisme, de l’esclavage. De là procède le fameux malaise qui habite à des degrés divers toute la vie mauricienne, tout ressortissant mauricien, et qui ne peut pousser l’être que vers la quête, l’oscillation perpétuelle entre éclatement et besoin de cohérence.

Que pouvait produire l’île, d’autre qu’une poésie de quête, d’exil, une poésie surtout, peut-être, marquée par le besoin de parler, afin de mettre en mots le malaise, de lui faire « rendre gorge », en somme?

Maunick résume à merveille la situation dans ce passage : « Sans cesse, ce besoin de parler, à la fois notre vice et notre vertu :nous sommes nés loin, dans des pays exigus, en terre étroite ;nos villes sont souvent sœurs, nos villages se confondent[…]notre identité, forcément multiple, est davantage à entendre dans notre parler créole, qu’à lire, exprimée à travers des écritures aux alphabets pourtant fascinants. Plus peuple que race, nous additionnons nos fidélités à l’Orient, à l’Occident et à l’Afrique, pour fonder une symbiose, certes difficile, mais seule capable de nourrir notre quotidien plus sûrement que le plat de riz, la rougaille de poisson salé ou la fricassée de lentilles rouges. Nos aïeux venaient tous de quelque part ;nous avons pour mission de continuer leur exil dans un lieu devenu pays natal ».

 

 

P.LARANCO.

Le 11/02/2005.


Ce texte a été la matière d'une conférence donnée, en 2005, dans le cadre des activités de l'Association "Rencontres Européennes/Europoésie"
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