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6 novembre 2008 4 06 /11 /novembre /2008 18:18

UMAR TIMOL, POETE DE LA RECHERCHE D'ABSOLU DANS L'AMOUR.


Ce qui est frappant lorsqu'on lit attentivement la poèsie d'Umar Timol
, c'est la façon dont elle est traversée de part en part par le manque, par l'insupportable séparation des corps, des âmes.
Une soif fusionnelle dévorante en sous-tend tout le feu, tout l'impact.
Chez lui (ce qui est très "indien") la femme aimée en arrive à prendre une dimension quasi divine. Elle partage avec l'Absolu son caractère "inaccessible" par essence. A l'instar du grand dieu cosmique d'indifférence, elle n'aime jamais. L'amant, d'ailleurs, n'attend pas qu'elle l'aime, puisque, implicitement, l'on sent bien, au travers de ce qu'il écrit, que l'amour est, en soi, impossible et que le désir est trop dévorant pour se voir jamais épuisé, éteint. A ce degré d'exigence fusionnelle, de demande d'absolu, le désir ne peut être qu'insatisfait ou imparfaitement satisfait, ce qui est tout aussi intolérable. L'homme se voit donc condamné au yoyo entre exaltation et frustration. Et c'est là, dans ce manque béant où toute vraie poésie s'origine, que s'origine celle de l'auteur mauricien.
Si la poésie dure, c'est parce que l'insatisfaction dure. Si elle renaît sans cesse de ses cendres, c'est que ce qu'elle tente de combler est trop béant, trop vaste.
Le style, quant à lui, épouse parfaitement  cette sorte d'appel exacerbé , exacerbé parce que sans répit brisé, fracassé tel une vague.
On a, en permanence, l'impression que cet auteur écrit sous la poussée, la pression impérieuse de l'urgence pure. Il le confirme lui-même (*) lorsqu'il se décrit comme possédé par une espèce de démon de l'écriture qui le chevaucherait, l'habiterait, ne lui laisant que peu de répit. Son écriture est , à n'en pas douter, une écriture de passion, de grincement, d'abondance assumée des mots, d'engagement total; une écriture de lave incandescente qui n'en finit pas de galoper : les phrases, même lorsqu'elle terminent un texte, demeurent toujours comme en suspens, ouvertes. Il y a ,dans cette écriture, une fougue, une façon de balayer qui, pour un peu, ferait penser aux cyclones de l'Ile Maurice.
Ecriture-cascade, écriture-torrent, écriture-accès de fièvre. L'écriture de Timol charrie un bouillonnement qui contraste quelque peu avec cette manière de quête philosophique, voire, comme il le dit lui-même, "mystique" dont on détecte également l'affleurement chez lui. Elle a, dirait-on, à voir, avec une sorte de "dérèglement contrôlé" (dans l'acception rimbaldienne du terme) qui n'est pas sans, parfois, frôler excès, folie.
Sensualité comme inquiète, comme gâchée par une ombre mystérieuse qui  plane sur tout, corromp tout, déchirement, dense élan verbal qui finit par paraître se clore, se cadenasser sur lui-même, sur sa propre densité (par mesure de précaution, de protection ?). Procédés répétitifs qui tentent de jouer, pour le flux du verbe, le rôle de fragiles digues. Des forces contraires sont à l'oeuvre.
Les textes écorchés vifs du poète mauricien se précipitent, se ruent tels de sauvages, flamboyants météores. On y sent, en arrière-plan, la présence de l'angoisse d'arrachement qui déchire; la colère contre tout ce qui s'oppose à la réunion, à l'oeuvre d'amour, à la complétude de l'être, à la plénitude tant souhaitée.  On y sent aussi toute la sincérité d'un être à l'âme pure, sans détours. A certains moments, on a l'impression que l'écrivain voudrait tout dire, tout embrasser, tout avaler, tout inclure dans l'étreinte de son verbe. Il cherche le trop-plein et l'infini à sa manière bien à lui, avide, fébrile et sans aucun doute possible, tourmentée. Souvent, du reste, ses textes consistent en une seule (très longue) phrase, en un seul jet de poésie, interrrompu seulement, ici et là, par des virgules (histoire de reprendre un peu sa respiration), comme s'il répugnait à agrémenter ses mots de lettres majuscules. Chaque texte -je l'ai déjà signalé - prend la forme d'un pavé dense où les mots semblent ne pas vouloir se désolidariser les uns des autres.
Je ne sais pas comment il construit ses poèmes en prose, mais la sensation qui s'en dégage est celle d'une force de vie et d'amour qui empoigne vigoureusement  l'auteur et qu'il réussit fort bien , du fait , entre autre, de son ton incantatoire, à nous transmettre.
Pour U.Timol, l'amour ne peut aller de pair qu'avec l'effacement de soi : "alors que je ne suis que cendre à tes pieds, je t'aime". C'est aussi simple que ça.
Amour (cet amour qui lui est si essentiel) et humilité, voire abaissement de soi sont, à ses yeux, indissociables, inextricables et c'est ce qui confère à son oeuvre ce ton singulier, ce caractère touchant, attachant.

P.Laranco.
(*) Voir textes d'Umar Timol, sur les sites "Pleut-il" et "Le Capital des mots".

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6 novembre 2008 4 06 /11 /novembre /2008 12:47
On croit rêver. On n'y croit pas.
Au moment où, en France, un certain nombre de voix appartenant aux élites dirigeantes et/ou intellectuelles tendraient à cultiver une vision plutôt péjorative du Négro-Africain , l'Amérique, elle, choisit de confier son destin de pays le plus puissant du monde à un homme qui a cette origine et, de la sorte, du même coup, "embarrasse" quelque peu une société française où Madame Taubira, une fois de plus, souligne le nombre infime de Noirs au sein des assemblées et dans la vie politique et médiatique en général.
Outre qu'elle surprend, qu'elle déstabilise une certaine vision qu'ont l'habitude d'entretenir les Français quant à une Amérique outrageusement raciste, cette élection si particulière, si historique a l'effet de replacer sous les projecteurs la question (au combien délicate) de la place des minorités ethniques en France.
Mode obamaniaque aidant, la mauvaise conscience se retrouve titillée.
Un Obama français ? Il est, quand même, heureux qu'on soulève cette question. D'après C.Taubira (et d'autres), ce n'est pas demain la veille.
Si l'Amérique a un nombre incalculable de défauts, elle a au moins la qualité de cultiver le dynamisme, l'esprit de changement, de remise en cause. Pays jeune, de caractère jeune, elle a un esprit d'aventure, d'audace pionnière et de goût du risque qui n'a rien de commun avec les pesanteurs conservatrices et la frilosité qui plombent et freinent notre hexagone.
Ce qui frappe, dans l'évènement considérable qui vient de se passer, c'est le pouvoir d'évolutiion rapide que l'Amérique recèle. Aussi bizarre que ça puisse sembler sur les rives européennes, c'est un pays qui rêve encore.
Peu encombré par la densité de son passé historique et par le poids de son "identité nationale", il vit en regardant vers l'avenir.
C'est sans doute une des raisons pour laquelle cette élection - qui a le don de nous réconcilier un peu avec l'espoir en la nature humaine - a eu lieu.
En Barack Obama, c'est un "citoyen du monde " que le melting-pot a choisi. C'est un métis, donc un avant-coureur du monde de demain.
Pour le reste, je suis assez d'accord avec ceux qui ne voient pas un "Obama français" surgir avant longtemps.
Si Obama séduit tant, en France, c'est qu'outre son charme, il est américain et, en tant que tel, il alimente les vieux fantasmes de renouveau liés, dans tout esprit européen, au Nouveau Monde.
L'Amérique est un pays où l'on reconnait les différences ethniques.
Reconnaitre quelque chose en tant que tel, c'est lui faire une place.
En France, le "problème des minorités" est encore largement tabou.
Pas de communautarisme ! Attention à la sacro-sainte unité nationale jacobine, que l'on a eu tant de mal à bâtir au long d'interminables siècles !
La "fracture coloniale" algérienne a menacé de déboucher sur une guerre civile. Le Français, qui a un tempérament passionnel, réactif et volontiers querelleur, a une certaine tendance à voir en l'expression des différences une source de conflit potentiel. Alors, il a pris le pli de ne pas aborder ces sujets. Les remettre sur le tapis riquerait de faire resurgir, entre autre, le spectre de la "fracture coloniale". Celui d'un passé colonialiste que personne ne veut assumer.
L'Amérique s'est donnée la peine de travailler son "problème noir". Si elle a pu le travailler, c'est qu'elle l'avait identifié et reconnu.
Par delà toutes les tensions inter-ethniques qu'elle est amenée à gérer, l'Amérique est un pays qui se pense vraiment comme multi-racial.
Avec l'élection de Barack Obama, elle en donne une preuve éclatante.
Pour que la France puisse avoir, un jour, son Obama, il faudrait sans nul doute qu'elle apprenne à se penser autrement.
Est-ce possible alors que son noyau indentitaire est si "blanc", si ancien, si lourd ?


P.L
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5 novembre 2008 3 05 /11 /novembre /2008 13:19
Le ressac onirique et cosmique.

"C'est au moment où l'on se figure le moins
que tout est joué que la scène
abolit les masques"

A la recherche d'un lieu focal de la présence, Patricia Laranco nous entraîne dans l'inconsistance de l'instant entre transes, palpitations, extases et bulle d'éternité.
De la surprésence des objets avec leur incantatoire épaisseur, de l'entité corps à l'entité espace vide, des forces vitales et violentes nous traversent dans un kyste intemporel.
Entre le remodèlement du réel et le rétrécissement de l'être, face au cratère du vide creusé par l'immensité du monde, le corps dépossédé mesure ses faiblesses et menace de tomber dans le puits impitoyable du néant :
                             "Quand la nuit s'est abattue
                            les choses cessent d'errer
                      elles sont de retour au
                    bercail, au giron de l'UN."
Face aux vacillements qui le traversent, le poète s'évertue à combler ses errements, à la recherche d'une autre naissance, dans le magma du sommeil.
Face aux forces antagonistes liées à la précarité du monde, Patricia Laranco s'oppose au vide et au néant :
"Ce lien existe désormais, par le regard
par cette sphère qui sécrète la paix
blanche"
Par les hoquets d'espace, entre flux et reflux, le poète plonge vers son épicentre secret.


Gérard PARIS.
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5 novembre 2008 3 05 /11 /novembre /2008 12:39

Maurice COUQUIAUD est un de ces êtres qu'on se félicite de connaître. Son talent poétique , enrichi de sa brillance intellectuelle, de son ouverture (rare dans le milieu poétique) vers les sciences et la philosophie, en font tout à la fois un écrivain, au sens purement, pleinement littéraire du terme, et un penseur. Du vrai penseur et du vrai poète, il a la simplicité, l'amabilité, la chaleur humaine. J'ai eu la chance d'avoir, avec lui, des discussions passionnantes, qui, notamment, tournaient autour du sens de la vie et de la philosophie fascinante d'Edgar Morin. Il m'a, hier, très gentiment, adressé ces trois petits poèmes.




LE DINOSAURE INNOCENT.

Je n'ai brûlé ni les Juifs ni les sorcières.
Je n'ai pas inventé la guillotine ou les galères.
Je n'ai pas déterré mes ancêtres
pour explorer mes fautes et mes torts.

Ma carapace n'est qu'une apparence
puisqu'elle est faite d'un vieux buvard
surtout sensible aux taches de l'avenir
dont l'encre voudrait déjà perdre la mémoire.






LA TABLE DE NUIT.

Fatigué, fatigué,
le vieux prêtre cherchait le sommeil.
Près de lui, son pot de chambre
rêvait d'une table de nuit...
une forme du paradis où se reposent
tous ceux qui reçoivent
le besoin des autres.






INFORMATIQUE.

J'ai bien connu le temps
où le poète devait couper les pages
pour atteindre le sens des mots.
Il suffit maintenant d'appuyer sur un bouton
pour suivre l'au-delà des images.

Il faut toujours se laisser couper la vie
pour atteindre le sens de la mort.
J'écris donc sur les ondes
pour le plaisir de mon fantôme !
Seul capable de cueillir dans les vibrations,
non le fruit de mes paroles provisoires,
mais l'écho ressuscité de mes émotions.


Maurice COUQUIAUD.

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4 novembre 2008 2 04 /11 /novembre /2008 13:21
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4 novembre 2008 2 04 /11 /novembre /2008 08:35
Mira-Bai est une immense poétesse mystique et classique de la littérature indienne. En Inde, aujourd'hui encore, elle tient une place comparable à celles, chez nous de Ronsard ou de Victor Hugo et son oeuvre poétique, enseignée dans les écoles en tant que classique, est une référence qu'aucun Indien ne saurait ignorer.
Mais peu de gens conniassent l'importance de Mira-Bai en Occident, et en France. C'est pourquoi j'ai décidé de vous la présenter aujourd'hui.
Elle a vécu approximativement entre 1498 et 1546, en Inde du Nord-Ouest, dans l'actuel état du Rajastan. Le Rajastan ( mot qui peut se traduire par "pays des rois") s'étend, donc, au Nord-Ouest de l'Inde, et consiste en une plaine semi désertique ponctuée de collines au sol aride, où les gens  mènent une existence rude, austère, essentiellement centrée sur l'élevage des chameaux, des vaches et des chèvres. Les origines ethniques de la population de ce pays composent un mélange dans lequel un chat ne retrouverait pas ses petits (Indo-Européens originaire de l'Iran, dravidiens venus très anciennement sans doute du Proche-orient, tribus de souche asiatique, dites "aborigènes" à peau très foncée remontant à la préhistoire la plus ancienne).
A l'époque où nous nous situons, c'est à dire celle où vivait Mira-Bai, la contrée était, depuis le 7ème siècle, entièrement dominée par les clans guerriers de l'aristocratie (désignés par le vocable "kshatriya" en sanscrit, le sanscrit étant le "latin de l'Inde", la vieilles langue des textes sacrés). La vie de ces grandes familles aristocratiques avait tout pour rappeler celle des seigneurs du Moyen-Age occidental : ils occupaient de farouches citadelles perchées sur le sommet des collines, pratiquaient avec ardeurs les arts de la chasse et de la guerre qui leur étaient strictement réservés, et, à l'instar des seigneurs-troubadours que compta l'Europe de l'Ouest à la même période, se complaisaient à cultiver des sentiments très "chevaleresques", tels le sens de l'hommeur rigoureux, l'héroïsme dans les batailles, le respect courtois envers la gent féminine. De façon pour le moins paradoxale et contre toute attente, la réclusion des femmes avait pour effet de consolider leur influence plus ou moins occulte. En effet, c'était dans leurs mains que reposaient l'honneur si précieux et la fortune d'une famille entière (honneur et fortune de la famille étant en ce temps-là et restant encore de nos jour les fondements absolus de la société indienne). C'est ainsi que les époux avaient l'habitude de prendre l'avis de leurs épouses, et, mieux encore, d'en tenir compte. Il arrivait même, et cela assez souvent, que les dites épouses aillent jusqu'à prendre part à des combats durant les phases de guerre, leur devise qui était alors "plutôt la mort que le déshonneur" les poussant dans ces moments-là à se suicider très stoïquement par le feu en cas de défaite (on peut, ici, faire le parallèle avec le fameux "sati" des veuves).
On le constate, les rajpoutes étaient des gens fiers, des guerriers dans l'âme farouchement épris de leur indépendance , ce qui expliquait le morcellement de leur territoire et les guerres incessantes qui  opposaient leurs clans, mais ce qui expliqua aussi qu'ils devinrent les plus redoutables ennemis hindous des conquêrants turco-persans de religion musulmane qui se déversèrent sur le Nord de l'Inde dans la deuxième moitié du Moyen-Age, et auxquels ils ne manquèrent pas d'oppposer une résistance des plus acharnées aux quatorzième, quinzième et seizième siècles.
Mira (Bai n'est qu'un titre honorifique qui, en gros, signifie "dame noble") voit le jour aux environs de l'année 1498, à une époque où le Rajastan a réussi à se libérer entièrement de la tutelle du pouvoir musulman de Delhi, et où il est retombé dans ses interminables luttes intestines.
Mira, quant à elle, appartient à une famille éminemment aristocratique qui règne sur un royaume petit, certes, mais n'ayant de comptes à rendre à personne.
Enfant unique (sans doute parce que très tôt orpheline de mère), la future poétesse sera élevée par l'un de ses oncles, puis, en 1516, au terme de savants calculs entièrement liés à l'horoscope et, comme l'on s'en doute, à la stratégie politique, on ne peut plus traditionnellemnt mariée à un prince de la forteresse de Chittor (haut lieu de la résitance anti musulmane).
Cinq années après ses noces, cette jeune femme dont on louait le grande beauté autant que l'excellente éducation se retrouve veuve. Dans cette situation délicate, elle bénéficie, un temps, de la protection de son beau-père qui l'apprécie et la respecte, mais, poursuivie décidément par la malchance, le perd aussi et devient dès lors (c'est fort courant en Inde) le souffre-douleur d'une belle-famille qui l'accuse derechef de mener une vie peu convenable pour une personne de son rang. Le fait qu'elle ait la suprême audace de chanter et de danser en public, quand bien même le fait-elle uniquement par dévotion, passe d'autant moins que ces activités l'amènent à des fréquentations masculines qui la "compromettent", la dévaluent totalement aux yeux du clan de son mari. Ce dernier, qui se sent, de manière très indienne, menacé dans son sacro-saint honneur de famille et de caste, réagit en l'accusant...d'être une prostituée ! Au surplus, la vénération shivaïte que sa belle-famille hostile voue à la déesse Durga alors qu'elle, pour sa part, a été élevée dans la plus pure tradition vishnouïte, n'est pas faite pour arrondir les angles.
Mira-Bai est, d'abord, connue comme "l'amoureuse de Krishna", celui dont la légende veut qu'elle se soit éprise, aussi spontanément que solidement,qu'irrémédiablement, dès les années d'enfance.
Toute sa vie, sans faillir, elle voua au joueur de flûte une adoration mystique dévorante, dont, comme nous allons le voir, ses poèmes  portent le témoignage.
Avec une indépendance d'esprit remarquable et un courage bien digne de son rang, Mira, femme intelligente, digne et, surtout, portée par la foi qui la possède toute entière, n'hésite pas à braver ouvertement l'incompréhension, le mépris des siens, lesquels, à plusieurs reprises, poussent la haine jusqu'à tenter de la supprimer. Mais elle n'en a cure. Consécutivement à une mémorable tentative d'empoisonnement (dont elle remercie Krishna de l'avoir sauvée), la jeune femme, en compagnie de sa meilleure amie (la confidente à qui elle s'adresse dans ses vers) fuit enfin la dangereuse ambiance de Chittor pour retouner vivre dans sa famille, qui l'accepte, et y mener, enfin, la vie modeste et toute en dévotion dont elle rêvait.
Nous connaissons fort peu de choses relatives à la fin de sa vie, mais la légende, qui ne tarda pas à s'emparer d'elle de son vivant (l'ampleur et la sincérité profonde de sa piété lui valurent une considérable renommée dans un pays où la foi, le renoncement, l'ardeur religieuse qui détourne totalement du "monde d'illusions" impressionnent toujours), nous suggère qu'elle ne vécut plus que d'intenses activités religieuses, avec, entre autres, de continuels pélerinages sur les hauts lieux de la spiritualité krishnaïte (comme Vrindavan) et que, pour couronner le tout, elle connut une fin extraordinaire et idéale dans l'esprit de tout dévot hindou sous la forme d'une absorbtion par la statue de son dieu à l'intérieur de l'enceinte d'un temple.
Krishna lui devait bien ça : c'était, là, une forme -directe - d'accès à l'état de sainte. Que ce soit là vrai ou faux, peu importe, pour la population indienne très portée sur le merveilleux, elle était, de la sorte, devenue une "mahâtma", un objet de vénération - tant religieuse que littéraire - qui allait traverser les siècles. Elle fut, en somme, récompensée de ses souffrances, de sa constance et de la force de caractère dont celle-ci témoignait par la complète fusion de son âme avec l'absolu (Moksha).
Il est temps, à présent, d'aborder l'oeuvre de cette femme exceptionnelle.
Dans le but d'exalter la passion exclusive qui la liait à Shri Krishna (encore appelé Girdâr Nagar), Mira-Bai s'est mise à chanter (car il s'agit , en fait, de chants spontanés , qu'elle-même n'a jamais mis par écrit) des vers (appelés pada) qui s'élevèrent finalement au nombre d'environ 200 et qui, par la suite, se trouvèrent transmis exclusivement de manière orale, par mémorisation, comme il était d'usage alors, par des ménestrels ambulants et autres dévots ayant choisi de vivre sur les routes, et qui les firent connaitre, avec le temps, dans toutes les aires du Nord de l'Inde où la dévotion à Krishna prospérait. Ce corpus de chants religieux fut traduit dans toutes les langues qu'il rencontrait sur son passage et acclimaté à la sensibilité des nombreuses sectes vouées à Krishna. Les éditions écrites, quant à elles, ne remontent qu'à la fin du XVIII ème siècle, et elles se sont poursuivies régulièrement, jusqu'à nos jours. C'est dire si cette oeuvre touche profondément l'âme des Indiens. Tels qu'ils sont actuellement (sous leur forme écrite et définitive), on ignore si les chants-poèmes de Mira sont tous vraiment de sa composition, mais, comme on dit, ce qui compte, c'est l'esprit. Les Indiens (dévots) n'accordent que peu d'importance à la gloriole individualiste.
Pour comprendre cet esprit qui animait Mira-Bai et qui fait la force,le souffle de son oeuvre, il faut pouvoir comprendre ce qu'est le sentiment qu'elle exprimait, un semtiment religieux très particulier, appelé bhakti. Qu'est la bhakti ? Eh bien, c'est l'union à dieu en passant par l'amour; c'est une relation individuelle, intime et directe au divin.
Elle fut pour la première fois prônée par un courant de pensée brahmanique : le samkya, axé sur le yoga et la fusion avec le dieu intérieur, sans autre intermédiaire. Bien plus tard, le concept se trouva repris par le joyau-noyau de l'épopée du Mahabharata, la Bhagavad-Gitâ (300 avant Jésus-Christ) qui est le livre sacré de l'Hindouisme par excellence. Le mot "bhakti" y résonne dans la bouche du dieu Krishna lui-même, dans le sens de "dévotion". La Bhagavad-Gitâ, qui fait parler Krishna, en tant que guru d'Arjuna et son aurige, se montre tout à fait claire en ce qui concerne les devoirs qui incombent à l'adepte de la bhakti (ou encore bhakta). Désengagement mental total des affaires de ce  bas monde, accomplissement de l'action en demeurant détaché des fruits de l'action, contrôle des sens et du mental par une pratique assidue et constante du yoga et volonté, soif intense de se confondre en dernier ressort avec l'Absolu constituent les buts à atteindre.
Quoique concernant aussi la tendance shivaïte de l'Hindouisme, la bhakti reste l'affaire du dieu Krishna et, en tant que telle, trouve un terreau particulièrement favorable dans la sensibilité vishnouïte, beaucoup plus populaire et plus "humaine" qu'un shivaïsme où tout de même, dominent des figures cosmiques de destruction assez terrifiantes. Shiva et son double féminin, la Shakti, restent des dieux ambigus, tout aussi bien capables de bonté que d'annihilation destructrice (sous les formes de Durga et du Jaggernauth, par exemple). Depuis les premiers siècles de l'ère chrétienne, la pensée brahmanique tend à se détourner des hautes spéculations abstraites dont elle était friande, au profit d'une religiosité nettement plus populaire, plus émotive, plus immédiate, plus proche, par conséquent, des êtres "basiques" que sont les femmes et les castes inférieures (qui constituent, en Inde, l'immense majorité de la population) qui ont, surtout, besoin de se consoler de leurs malheurs sans nombre dans la bienveillance divine. Le courant bhakti a, aux yeux des masses populaires, le mérite de réhabiliter, d'ennoblir en le spiritualisant le sentiment on ne peut plus humain (mais, dans la sociéte indienne ultra puritaine, sévèrement surveillé) qu'est l'émotion amoureuse, dont il fait une force susceptible de mener directement au but suprême : l'union avec dieu. La bhakti, sans nul doute, a permis à nombre de gens d'épancher, mine de rien et honorablement, une exaltation affective aux connotation "érotiques" qui , par ailleurs,demeurait hautement suspecte à une société privilégiant à ce point le complet effacement de l'individu devant le devoir social compris également comme un devoir spirituel (le dharma).
Fusionner avec dieu, au fond (et toutes proportions gardées), cela s'apparente à l'union telle qu'elle peut exister dans l'amour humain et dans le mariage. Il s'agit, dans un cas comme dans l'autre, de rejoindre, de s'unir et d'être fidèle.
Ainsi, dans l'Hindouisme, la bhakti est-elle symbolisée, incarnée par deux couples divins célèbres à la période médiévale (qui par ailleurs fut une grande période de poussées mystiques, aussi bien dans l'Hindouisme que dans le Christianisme et dans l'Islam) : Rama et son épouse parfaite, modèle de fidélité irréprochable qui conçoit son amour pour son époux comme un sacrifice d'ordre religieux et, d'un autre côté, Krishna et Radha qui, eux, figurent tout le contraire dans la fantasmatique indienne : l'amour-passion, lequel ne peut se vivre qu'en dehors du mariage, les mariages étant, en Inde, tous de convenance et arrangés par les familles. Krishna est "l'aimé des jeunes filles" (gopis), le tentateur, le séducteur, celui qui est susceptible de les détourner de leurs (nombreux) devoirs. Une sorte d'Eve au masculin, si l'on revient aux références chrétiennes. Ce dieu qui, peut-être, a été il y fort longtemps une figure historique réelle et qui a sans doute des origines dravidiennes  voire même qui sait, tribales (on se pose la même question au sujet de Shiva, de Durga ou de Ganesh), porte un nom qui signifie "le Noir". Il donne l'image de l'innocence enfantine, c'est un beau jeune homme à l'aimable sourire, aux manières charmantes et douces (presque sucrées), aussi douces que le son de la flûte dont il a coutume de jouer. Mira l'exprime bien : c'est, en quelque sorte, d'un "homme fatal" qu'elle nous parle, en termes qui pourraient s'appliquer, ma foi, à une banale passion amoureuse. Fascinée, la poétesse laisse s'épancher un réel et lancinant manque, qui n'est pas sans faire songer à l'expression d'un désir plus terrestre. Elle évoque, d'ailleurs, sa rencontre avec le dieu comme l'on évoquerait un "coup de foudre"; jugeons-en :
"Girdhar Nagar est le seigneur de Mira;
  en contemplant ce beau corps, son coeur s'est touvé pris dans ses filets".
Sans aucune difficulté, Mira s'identifie à Radha, ce qui la conduit à désigner tout naturellement l'objet de ses voeux par le vocable d' "Amant". Elle l'associe donc à l'amour-évasion hors du devoir social. Et quoi de plus juste en effet ? La vraie foi ne transcende-t-elle pas la vie terrestres, même dans ses impératifs les plus sacrés ?
"Mira sacrifie corps, âme et richesse à Ghirdar et s'absorbe dans la      contemplation de ses pieds
je n'ai conservé du monde ni tradition, ni famille, ni respect humain".
Mira, comme toute lectrice de la Gitâ et comme tout être lucide, sait et ne perd jamais de vue que les réelles valeurs, celles qu'on doit faire siennes sont à chercher au delà des gestes et actes rituels, des impératifs liés au respect de la société de castes et des conventions, même religieuses, qui ne sont, tous autant qu'ils sont, qu'affaires, au fond, strictement humaines, et donc, pour elle, vouées au dépassement. Mira se plait - et s'affiche, sans crainte - au milieu des saddhus, qu'elle sélectionne rigoureusement en fonction de son orientation religieuse, se gardant bien par exemple, de frayer avec les tenants du culte tantrique de Durga (alias Kâli), qui ne lui inspire que méfiance. A aucun moment, dans ses "textes", elle ne fait allusion à un enseignement qu'elle aurait reçu d'un guru quelconque, Krishna étant, en fait, pour elle, le seul et unique guide, avec qui elle se trouve en prise directe. Le seul dont elle cherche le contact. Le seul dont elle accepte d'être dépendante.
Si elle exprime son amour pour Krishna de manière si spontanée et si touchante, c'est peut-être, précisément, parce qu'elle voit en lui tout d'abord le maître à penser tout simple qui se posa sur le char d'Arjuna, en pleine bataille, au moment précis où l'âme du héros vacillait. Mais Mira aime aussi Krishna d'une manière plus tourmentée, oscillante entre l'angoisse perpétuelle qu'elle a de le perdre de vue, de ne plus le voir reparaître (un psychanalyste parlerait, en un tel cas, d'angoisse d'abandon et cette angoisse, à n'en pas douter, pourrait s'expliquer par toutes les séries de deuils que la pauvre femme a subis, rien de tel que le deuil pour écorner votre confiance en les êtres chers) et l'ineffable bonheur, la plénitude sans équivalent sur terre qu'il lui apporte, lorsqu'il revient, et récompense enfin son attente quasi cauchemardesque.
Cette angoisse, précisément, finira par marquer profondément la psyché de la femme indienne.
Conséquence incontournable du manque apprivoisé, de la frustration cachée, de l'attente secrète, intime, elle a, en Inde, le don de favoriser la sublimation du désir et c'est en tant que telle qu'elle se révèlera un but précieux, en fin de compte bien digne d'être recherché et cultivé, quand bien même serait-ce avec une certaine dose de cruauté dans la nostalgie fouaillée, excitée perpétuellement, de façon pour ainsi dire "masochique". Mais le contrôle de soi et la souffrance formatrice, utilisée pour réduire les passions et les illusions en cendres sont des idéaux indiens par excellence. Au lieu de prétendre la combattre, on convertit, sagement, la douleur en savante ascèse et, à force de la cultiver, au bout du compte, on l'annihile. C'est, sans doute, assez difficile à comprendre pour un esprit occidental (ou pour un esprit africain).
Mais, ne l'oublions pas, la cessation de toute souffrance  (dans le détachement)est à la clé.
"Vois, Mira souffre dans l'angoisse de la séparation et son âme halète loin de toi."
Mira, dans ses chants, crie sa soif, sa faim d'abolition de distance, elle proclame haut et fort son désir exacerbé de dieu, de ce "bel indifférent" qui se révèle si difficilement connaissable, atteignable, qui se dérobe sans cesse pour la laisser désorientée, perdue. Elle supplie, elle attend sa compassion qui, seule, lui accordera sa délivrance, son absorbtion dans l'Infini. Elle lui offre (dans le sens d'"offrande") son yoga, la concentration totale de sa pensée, sa fuite du monde.
Elle ne se doute certainement pas, dans sa sincérité religieuse et son effacement devant la splendeur de celui qu'elle aime si fort, si absolument, qu'elle laissera à l'Inde (ce pays vraiment très paradoxal où l'on peut dire que la misogynie, telle qu'on l'entend en Occident, celle qui exclut les femmes du champ de la pensée et de l'"âme", n'a pas cours - même si, à côté de cela, les épouses y sont, pour une bonne moitié, victimes de la violence domestique la plus féroce) un monument de littérature poétique et mystique.


P.Laranco.
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3 novembre 2008 1 03 /11 /novembre /2008 13:05
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3 novembre 2008 1 03 /11 /novembre /2008 12:19
ne ris pas, je sais que ce n'est pas très sérieux mais je compte t'emmener au paradis, ce sera mon paradis à moi, différent des autres mais mon paradis quand même, je l'ai construit, figure-toi, avec mes mots, ces mots qui sont comme des papillons qui se fanent un peu partout, je les attrape avec des filets grands comme ça puis je les mets dans un petit sac bleu avant de les disperser dans la nuit et alors ils s'altèrent selon les rêveries de tes lèvres et de tes mains douces, si douces, mon paradis à moi c'est un peu toi, c'est ta peau qui me rend un peu fou, c'est ton âme, si dénuée, si pure, qui parachève les deuils de la mer, dans mon paradis à moi, il n'y a pas grand chose à faire, on se contente de se regarder, dans les yeux, tout au fond des yeux, et on s'aime et ça dure longtemps, très longtemps comme une éternité et c'est fort, tellement fort qu'on a envie de sautiller, de courir, de s'envoler, dans mon paradis à moi, on n'a ni soif, ni faim, on ne vieillit pas et on n'a surtout pas peur, il n'y a qu'une chose de vraie, de vraiment vraie, c'est qu'on s'aime, encore, très fort, très très fort, dans mon paradis à moi, ne ris pas, s'il te plait, on ne parle pas ou très peu, on aime bien le silence, le silence cache tellement de choses, de choses merveileuses, c'est comme ces pierres précieuses qu'on découvre tout à coup au fond d'une mine, pierres éblouissantes, pierres qui n'arrêtent pas de scintiller et, vois-tu, je compte rendre mon paradis à moi encore plus joli, capturer d'autres mots, des mots plus vivaces, plus folâtres ou plus sages, des mots qui te ressemblent et mon paradis sera tellement joli alors qu'on pourra y convier toutes les personnes qu'on aime, ceux qui croient encore à l'innocence, ceux qui aiment jouer et rire et ce qui est vraiment bien dans mon paradis mais c'est difficile d'en parler c'est qu'il n'y a pas de toi et de moi, tout est un peu confondu, mélangé, on n'a plus vraiment un corps c'est beau parce qu'on se disperse dans les autres corps, c'est étrange mais c'est beau, on se sent bien, on comprend que nous sommes tous un peu pareils et que c'est notre coeur un peu aveuglé, un peu rouillé qui nous empêche de voir, de comprendre, mon paradis à moi c'est un peu toi, mon ange, fascinante et inaccessible et je sais que tu ne m'aimes pas mais ce n'est pas grave car ces mots qui composent mon paradis émanent de toi, mots qui sont comme une vieille photo ou une vieille gravure, qu'on a oubliée dans un placard, mots qui serviront à rappeler au temps, à la mort, que je t'ai aimée, pendant un temps, combien de temps, je ne le sais, mais que je t'ai aimée et que c'était fort, plus fort que tout et qu'il n'y avait, alors, rien, sans doute, de plus important, rien.


Umar TIMOL.
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3 novembre 2008 1 03 /11 /novembre /2008 12:14

Après l'ascension,
le sommet,
après le sommet,
le versant
descendant, celui du déclin,
l'autre pente qui nous conduit
vers la fin, la dissolution :
nous sommes tous, êtres vivants,
cultures, espèces ou bien soleils
soumis à cette règle qui
détruit
ce qu'elle a enfanté
après l'avoir fait rayonner,
après l'avoir porté aux nues.


Patricia Laranco.

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3 novembre 2008 1 03 /11 /novembre /2008 12:11
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