Vient de paraître
(une nouvelle boîte d’allumettes)
Alain HELISSEN
Le journaze du soir
Un jeune homme de 22 ans a été renversé, piétiné, tué et enculé par un taureau dans les rues de Saint-Gelé-de-la-fesse (Hérault) lors d’un « enculo » (lâcher de taureaux) en circuit fermier. Mis en examen pour viol aggravé, le taureau a expliqué son geste maladroit par une trop longue abstinence sexuelle.
Rangé dans une boîte d’allumettes, ce mini-journal présente des extraits de Faits divers rigoureux, ouvrage encore inédit. À partir de faits divers réels, plus ou moins « déformés », cette collection de manchettes de journaux se propose de réagir contre un catastrophisme largement cultivé par les média.
Livre boîte d’allumettes
Prix : 5 € (franco de port)
Commande à :
Alain Helissen 53 rue de l’Entente 57400 Sarrebourg
Règlement par chèque libellé à l’ordre d’Alain Helissen
Collection « Feu »
VOIX éditions
http://alainhelissen.over-blog.com
Avec ce troisième recueil, le poète mauricien Umar Timol nous offre quelque chose de très fort, de très beau. Cette suite de proses poétiques et de poèmes en vers libres vaut le détour : on n’oubliera pas facilement l’intensité, la violence, l’intransigeant élan de pureté qui, ensemble, la traversent, l’animent.
La sincérité du poète Umar Timol est absolue, aussi absolue que celle d’un enfant qui n’accepte pas l’hypocrisie du monde.
Sans relâche, Timol dénonce la « monstruosité », la violence que nous portons tous en nous, au nom de notre « humanité commune ». Parole d’ « apatride », d’enfant d’un pays métis où l’on sait ce que vivre avec l’Autre, dans une certaine harmonie, veut dire. Sa générosité foncière n’en finit pas de pourfendre, de « perforer », car elle suscite, en lui, la colère. Le poème s’enfle, gronde, sa spontanéité sauvage balaie, un peu comme le ferait un cyclone de son île natale. Emporté par la puissance de son verbe de poète inspiré et tourmenté, il « crache » les mots qui « giclent », s’entre-heurtent, comme s’il cherchait à secouer le monde. Ses références sont baudelairiennes, rimbaldiennes (trouver des mots autres, « neufs » comme le dit Dominique Ranaivoson), césairiennes et, ajouterai-je, sans doute aussi maunickiennes.
La violence du mot timolien est purificatrice. Son « flot ininterrompu » assumé, revendiqué a pour fin ultime de « recréer » la poésie. Ce torrent de mots porte une révolte désespérée contre « l’interdit », il est vecteur d’une soif de liberté qui ne tolère pas la moindre concession. De ce point de vue, il se situe dans le sillage du surréalisme. Il faut savoir que Timol n’écrit pas dans sa langue réellement maternelle (qui est le créole de l’Ile Maurice). S’il choisit le Français, c’est parce qu’il est langue étrangère, par conséquent langue de poésie. La poésie naîtrait-elle, en fin de compte, d’un conflit, d’un compte à régler avec la langue ? C’est, vraiment, ce qu’on serait tenté de croire, en lisant cette poésie où violence et morcellement du verbe créent des tourbillons, des turbulences qui semblent ne pas pouvoir cesser de jaillir. Timol s’explique : il se réclame d’un verbe « aux frontières de la parole », où les mots, avec une cruauté flamboyante, « s’entredévorent » » « tels des scorpions » « Et prolifèrent sur la page » « Mots […] vos fulgurances. Et vos éruptions. Et le poème jaillit. Implacable. Forcené et impudique. »
Timol cherche à dompter les mots. Les mots de cet « Autre » qui l’habite (qui habite tout Mauricien ?). Timol bataille avec et contre ses identités multiples et problématiques qui forment un écheveau complexe, conflictuel et inextricable. La richesse de son vocabulaire, de ses images repose sur « l’échec de la langue ». Il cultive les audaces langagières sans ménagement et sans remords (« scorpions qui cavernent les vents de minuit », « [La lumière ] frisonne la peau »). Dans le sillage des Romantiques, des poètes maudits, il clame « je n’aime pas le bonheur » et se complait dans des évocations morbides. S’il parle d’amour (d’une manière, elle aussi, très sombre, puisque, pour lui, celui-ci est une défaite, une violence de plus, qu’on subit de plein fouet) et s’il ne mâche pas ses mots à l’endroit de certains traits de la mentalité mauricienne (« goût du pouvoir », ambition, snobisme), son propos tourne, d’abord, autour du rapport tout sauf serein et évident qu’il entretient avec la langue et du questionnement sur la nature même de l’écriture, qui l’obsède. Pour lui, si le mot a un sens, c’est celui d’un surgissement brusque, d’une surprise, d’une irruption, que précède l’ « attente ». Et, en effet, « Vagabondages » associe les mots de façon à ce qu’à chaque phrase, l’étonnement se fasse jour. C’est un texte qui fascine, qui piège, parce qu’il sort directement des tripes.
La seconde partie du livre, « Bleu » est nettement plus apaisée. On y découvre un autre ton : un ton d’enfance, car « à l’endroit du bleu » se trouvent la pureté, la plénitude. Le bleu est la couleur de la mer (si essentielle aux Mauriciens), de la légèreté, du rêve poétique. La couleur du bonheur, en somme. Il induit une dilatation de l’être qui est l’essence même de la vraie vie. Si le poète est incompris, c’est qu’il parle comme un enfant. Là réside tout le charme de ce « Bleu », qui est une sorte de petit conte fusionnel.
« Vagabondages » et « Bleu » nous présentent deux facettes d’Umar Timol. D’un poète qui sait faire de ses innombrables contradictions des avantages. D’un poète dont on se doit de découvrir le souffle poétique, digne des plus grands.
P.Laranco.
Gabrielle Althen est l'une des plus importantes figures de la poésie française actuelle. C'est quelqu'un dont j'admire énormément la poésie de présence au monde, quasi "spirituelle". Elle m'a fait l'honneur de m'adresser, pour publication dans mon blog, ces quelques textes.
Savourez-les, découvrez-les, ils en valent vraiment la peine...
Il y a un moment de la vie des artistes, moment qui ne dépend pas de l’état civil, qui est celui où ils doivent se rendre à leur propre singularité, à leur daimon, (sens grec, non diabolique, en effet). J’ai bien écrit se rendre, avec ce que l’expression implique lorsqu’elle est prise à la lettre. Nul orgueil. Nul excès de confiance en soi. Une reddition plutôt. Le devoir de se conformer en aveugle à cela en soi qu’on ne connaît pas si bien. Et, en sus, l’humilité, l’incroyable et persévérante humilité nécessaire à l’habitude de ne plus se plier au jugement des autres. Tu n’en fais qu’à ta tête, propos de psychologie ordinaire sans conséquence. Mais, dans l’art, n’en faire qu’à sa tête, c’est se fier, avec tous les risques que cela comporte, à la structure invisible qui gouverne sa relation aux autres, au monde et à soi, quand elle semble juste. Ce n’est pas choix d’aveugle. C’est le choix d’une logique encore inapparente. C’est un choix de l’invisible, celui de l’invisible source en soi que le travail de mettre au jour transformera en vision et en langage. Le risque en est sensible. C’est pourquoi je parlais d’humilité pour accepter de sembler se perdre. Il faut de l’humilité pour en passer par là et l’impression de rassemblement, de justesse qui en advient ne guérit pas de la blessure d’être différent des autres.
LE DON DES LARMES
Rocher debout tout droit comme un rempart,
Larme non pleurée de la douleur,
Etourdis, étourdis,
Lorsque l’été s’écrase au sol,
Les larmes sont pierres dans le désert,
Il ne faut pas les laisser seules.
Le verre du ciel a coupé la montagne au poignet
Que telle peine dite nous protège !
AMENUISEMENT DE LA COULEUR
Une fracture dans le geste d’aimer
Un appel à l’orage :
Tant de chaleur abolissant l’espoir
J’avais besoin de fleurs.
Bien que l’île nous rendît prisonniers du présent,
Sa poussière commençant il est vrai à nos cœurs ,
La terre rêche
Dépourvue de lointains
Nous faisait rêvasser de couleurs angéliques.
Entre des voeux de rubans mirifiques,
Je séchais bien des larmes dans des bouts de satin.
La mer difficile
Entre des bras de rocs
Décolorait la peine :
L’imperceptible est notre clef de voûte
Sa fleur une fracture dans le geste d’aimer !
ILE
Maisons les lieux des hommes
Au ras d’une terre coincée par le soleil
La malle est d’or mais trésor pour personne.
Tout près d’un bruit de vagues
L’ouverture est terrible de la chose visible.
Derrière la vitre une guêpe très active
Répète son désir agité de partir.
La transparence a ses limites.
Il n’y a pas de place ici pour le soupir.
Et moi suis-je parti,
Qui suis déjà dehors ?
J’ai le souci qui erre entre ma tiédeur et la mer,
Une ou deux larmes grises ont roulé sur les pentes,
Je voudrais qu’on me parle plus haut que la beauté
Plus haut que ma pensée plus haut que la douleur
Quand une enfant sans parole comme une rose close
Sort sérieuse du sommeil de sa chambre.
Dans la maison aimable
Des larmes jouent qu’il faut laisser jouer.
Coeur d’améthyste en alerte, ce vide, qui demeure vide, est à remplir des prémices de l’éveil.
Au prisonnier, le ciel offrit sa perle, où ce dernier, indéfiniment, pouvait entrer.
Un mot
Pour attirer la foudre
Dans le gris sans éperons du moment
Le mot arrive
Puis il nous dévisage
Nous
Le beau troupeau de bêtes –
La liberté qui regarde autre part
Accentue ses égards
Gabrielle ALTHEN *
* Pour ceux qui désireraient en savoir plus sur Gabrielle Althen, je vous renvoie au dossier "Figure de proue" qui lui est consacré dans le numéro 88 de la revue poétique JOINTURE, qui vient tout juste de paraître, et que vous pouvez vous procurer auprès de l'Association La Jointée, siège social 11 bis rue du Val-de-Grâce, 75005, Paris -Mel : la.jointee@laposte.net ou encore auprès de Marianne Arnold, 5 rue Sivel, 75014, Paris.
I-PRESENTATION DE L'ILE.
Située au sud-ouest de l'océan indien et à l'est de l'Afrique et de Madagascar, l'Ile de la Réunion est une île profondément volcanique (on y trouve en effet deux volcans encore bien en activité : le Piton des Neiges et le Piton de la Fournaise), au relief très accidenté. Elle a à peu près les mêmes dimensions que sa voisine et île-soeur, l'Ile Maurice, avec une superficie de 2511 km2. En 1985, elle comptait 518 370 habitants.
Totalement déserte à l'origine comme Maurice ou les Seychelles, elle fut découverte par les navigateurs portugais en 1528. Les Français en prirent possession en 1638, et lui donnèrent à ce moment le nom d'Ile Bourbon.
Après 1650, des colons français s'y installèrent grâce à la concession de la Compagnie des Indes Orientales. Pourvue d'un gouverneur, l'île vit en partie de la piraterie jusqu'à l'introduction de la culture du caféier au tout début du XVIIIe siècle. C'est à ce moment-là que l'importation d'esclaves devient une règle : on importe des Malgaches, des Africains et des Indiens. En 1761, la population est noire pour ses 4/5 èmes. Gouverneur de 1735 à 1746, Mahé de la Bourdonnais se heurte à des difficultés, essentiellement consécutives au marronage des Noirs, et organise la défense de l'île.
En 1767, le disparition du privilège de la Compagnie des Indes entraîne la disparition de nombreux abus. L'intendant Poivre introduit de nouvelles cultures : le coton et le giroflier. Une politique de peuplement blanc se poursuit, accompagnée de la poursuite de l'importation des esclaves. En 1793, donc à la Révolution française, le nom de l'île est modifié : l'Ile Bourbon devient Ile de la Réunion. A partir de 1794, l'introduction des esclaves se ralentit, mais l'abolition est refusée et n'interviendra qu'en 1848, après celle de la traîte qui fut officiellement interdite dès 1817.
Les guerres napoléoniennes n'eurent pas le même impact pour la Réunion que pour Maurice, les Anglais se contentèrent d'occuper l'île un court laps de temps : elle ne les interéssait pas vraiment car elle avait, à l'époque, une moindre valeur commerciale et stratégique sur la Route des Indes que l'Ile Maurice au relief moins tourmenté et qui avait, de ce fait, à offrir plus de bonnes rades aux navigateurs pour leurs escales. Elle demeura donc française et, à la Restauration, fut rebaptisée Ile Bourbon. Elle ne reprit le nom de Réunion qu'en 1848.
L'ordonnance du 21 Août 1825 fixa l'organisation de la colonie, placée alors sous l'autorité d'un gouverneur entouré de divers conseils.
Le début du XIX ème siècle vit la mort de la caféiculture, mais, très vite, la culture de la canne à sucre la supplanta et prit son essor.
Comme à Maurice quoiqu'en de bien moindres proportions, l'abolition de l'esclavage et l'essor de la canne entraînèrent le développement du phénomène de l'engagisme: introduction dans la colonie de coolies indiens et chinois (de 1850 à 1885 : émigrés hindous, 1860 : émigrés chinois et 1870 : émigrés indiens musulmans qui seront plus tard appellés les "zarabs"). Ce phénomène de l'engagisme favorisa et accéléra le brassage ethnique dans l'île. De même, il donna lieu à un accroissement démographique notable. C'est à la même époque que de grands travaux furent entrepris (canaux d'irrigation, route faisant le tour de l'île)
Mais, en 1869, l'ouverture du Canal de Suez et la crise de la canne à sucre plongèrent l'île dans la misère, une misère qui ne se résorba pas avant les années 20, en dépit du développement de la culture de la vanille et la construction, en 1882, d'une ligne de chemin de fer. Cet êtat de misère assez catastrophique que connut l'île ne fut pas sans conséquence : à partir de 1895 s'enclencha une émigration des réunionnais vers Madagascar, alors devenue colonie française; cette implantation était vouée à durer jusqu'à l'indépendance de la Grande Ile en 1960. Ce fut, sans aucun doute, elle qui donna au lien avec Madagascar cette importance qu'il revêt dans l'imaginaire réunionnais (là encore, contraste avec Maurice, pour qui le c'est le lien avec l'Inde qui prédomine).
Les années 20 venues, la crise des prix du sucre sur le marché mondial se résorba et, ce faisant, permit un nouvel essor de la canne réunionnaise.
En 1940, les autorités de la Réunion font allégeance au gouvernement de Vichy, ce qui entraîne un blocus de l'île, qui, en 1942, se ralliera à la France libre.
Le 19 Mars 1946, la Réunion change de statut : elle est instituée par une loi département d'outre-mer de la république française, et, dès lors, dirigée par un préfet et un conseil général. En décembre 1982 intervient la loi sur la décentralisation qui dote l'île d'un conseil régional élu à la proportionnelle. Les premières élections régionales ont lieu en 1983.
La population réunionnaise s'est récemment caractérisée par une importante croissance démographique due au maintien d'un fort taux de natalité. Aujourd'hui, l'émigration vers la France et le développement du contrôle des naissances tendent à ralentir ce boom démographique. La densité moyenne de population à la Réunion dépassait, en 1985, 200 hab/km2. Or, l'économie reste presque exclusivement agricole, avec, par ordre d'importance, la canne, le géranium et la vanille.
Sous-industrialisée, la Réunion reste extrêmement dépendante de la métropole française et de l'Union Européenne vers lesquelles sont exportées toutes ses productions. Au contraire de Maurice et sans doute en raison de la nature de sa géographie (peu de grandes plages de sable fin), elle a jusqu'alors très peu misé sur l'activité touristique, qu'elle cherche cependant à davantage développer depuis quelques années en mettant l'accent sur le caractère intense, grandiose de ses paysages montagneux.
Elle connait, malheureusement pour elle, un fort taux de chômage et de précarité sociale.
De façon plus générale, la géographie et l'histoire de l'Ile de la Réunion en ont fait un pays un peu refermé sur lui-même, en tout cas assez peu tourné jusqu'à ces derniers temps vers le reste de l'Océan Indien, en quelque sorte un peu prisonnier de son appartenance à la France.
A la Réunion, l'influence française a oeuvré en faveur de la prépondérance du métissage, de ce qu'on appelle une "âme créole" profondément métissée. Une fois de plus, le contraste est frappant avec l'île voisine, Maurice, marquée par les influences anglo-saxonnes et indiennes qui promeuvent le cloisonnement racial.
L'identité réunionnaise est à la fois forte (beaucoup plus structurée que l'identité mauricienne, autour de la notion de culture créole, d'exaltation du métissage), et fragile en raison de l'intégration à un ensemble culturel (France, Europe) qui reste la référence, mais qui, malheureusement, n'a que peu de points communs avec son vécu, sa spécificité géographique et culturelle propre, d'où une identité qui, malgré tout, se cherche. Actuellement, la Réunion prend de plus en plus conscience de la mondialisation, et, en premier lieu, de ce qui la lie au reste de l'Océan Indien et même à l'Asie. Elle aspire, ce faisant, à une autonomie croissante afin de pouvoir développer ses échanges de tous ordres avec eux.
II-LA POESIE REUNIONNAISE
A la Réunion, la poésie revêt une importance majeure.
L'Ile de la Réunion est, et se veut, tout bonnement, "île des poètes".
Dès la deuxième moitié du XVII ème siècle, l'île se révèle fascinante pour navigateurs et découvreurs : déserte, dotée d'une nature luxuriante et ensorcelante, elle est, d'emblée, perçue par l'occidental chrétien comme un Eden retrouvé. Cet élément fortement édénique sera repris et amplifié, par la suite, dans la littérature , du XVIII ème siècle au XX ème siècle.
La poésie réunionnaise a le mérite d'être foisonnante.
L'histoire et le statut actuel de l'Ile de la Réunion font que sa poésie fut de tout temps-et demeure-considérablement marquée par l'influence de la littérature française. Pendant longtemps, d'ailleurs, les écrivains réunionnais se sont révélé dans l'exil, sur le sol français où ils avaient émigré.
1. Le XVIII ème siècle voit l'apparition de deux figures : le chevalier Antoine de Bertin et Evariste de Parny.
Appartenant tous deux aux meilleures familles de l'île, ils furent envoyés en France tôt pour parfaire leur éducation et s'intégrèrent parfaitement dans la société parisienne, notamment littéraire. Ce sont des poètes élégiaques, qui contribuèrent à imposer, dans le Paris des dernières années du XVIII ème siècle, une mode "créolisante" et exotique. Parny passa pour le plus grand poète amoureux de son temps et influença Lamartine. Il fut un précurseur du poème en prose et manifesta, dans son oeuvre, une hostilité parfois véhémente à la conquête coloniale. Toutefois, Bertin et Parny sont des poètes beaucoup trop parisiens pour se voir considérés comme les fondateurs d'une authentique littérature réunionnaise. Leur intérêt pour l'ile ne fut qu'un intérêt très lointain, et superficiel.
2. Au XIX ème siècle, on en est toujours au même point, dans la mesure où la tradition qui veut que les "fils de bonne famille" réunionnais s'expatrient automatiquement en France afin de poursuivre leurs études se maintient. C'est ainsi que les trois grandes figures poétiques du siècle s'en vont chercher fortune dans les salons parisiens. Leconte de Lisle connaît une réussite éclatante en devenant le maître à penser du mouvement poétque des Parnassiens. Il va devenir, par la suite, le géant de la poésie française qu'on connaît. Horrifié par les pratiques esclavagistes en vigueur dans son île, il milita ardemment en faveur de l'abolition avant 1848. Il n'hésita pas à évoquer sa terre natale dans un certain nombre de poèmes, idéalisant une Réunion où tout n'est que beauté, quiétude et bonheur.
Lacaussade, métis ayant eu à pâtir de l'exclusion raciale, en fit de même, et publia, en 1839, un recueil intitulé "Les Salaziennes" en référence au cirque réunionnais de Salazie.
Lacaussade, Leconte de Lisle et Léon Dierx, un autre poète disciple de Leconte, peuvent être vus, en un sens, comme les premiers poètes authentiquement réunionnais : la poésie est, en effet, pour eux, souvent, un moyen de renouer avec l'île définitivement perdue en la chantant. Cependant, l'évocation de l'île reste timide, secondaire dans leur oeuvre, et extrêmement stéréotypée, surtout, comme nous l'avons vu, en ce qui concerne Leconte de Lisle qui, par sa stature poétique en métropole, finit par devenir un modèle difficilement dépassable pour les poètes du XX ème siècle restés dans l'île.
3.C'est le XX ème siècle qui va se révéler déterminant pour l'expression poétique de la sensibilité réunionnaise dans le plein sens du terme.
Mais ce phénomène ne se produit pas avant les années cinquante, où Jean Albany instaura une véritable rupture.
En exil volontaire à Paris comme ses prédécesseurs, Jean Albany ne cherche, en revanche, nullement à s'intégrer au monde littéraire parisien. Ce qui lui valut d'être complètement ignoré des revues et éditeurs français et, en conséquence, de devoir s'auto-publier. Au plan du style, avec le recueil "Zamal" (1951), il est le premier qui ose rompre avec cette référence écrasante qu'est Leconte de Lisle. Abandonnant la versification réglée, il marque une ouverture vers la modernité poétique. Mais Albany va plus loin : en 1969, avec "Bleu mascarin", il privilégie le créole comme langue d'écriture. Il forge le vocable de "créolie" qui, pour lui -et c'est en cela qu'il est très intéressant- désigne le paysage mental qui le rattache à son île et l'art de vivre qu'il en a hérité.
Le mot créolie définit l'être-créole et sa sensibilité propre. Il sera voué, par la suite, à devenir un signe de ralliement et un emblème pour tout un courant poétique réunionnais, qui se développera sous la houlette de l'évèque Gilbert Aubry. En 1978, Aubry publie son "Hymne à la créolie", qui définit ainsi le concept : " dans la recherche et le respect des racines propres aux divers groupes, [la créolie] est l'ensemble qui prend les cultures des quatre horizons pour en faire son trésor et son partage quotidien." La poésie d'Albany est sensible et indignée, elle n'hésite pas à dénoncer le malheur réunionnais. Le mouvement de la créolie publia des anthologies annuelles, réunies par Gilbert Aubry et Jean-François Samlong. Elles ont donné de larges panoramas de la poésie réunionnaise comprise dans cette mouvance et, du coup, l'anthologie est devenue une "tradition" poétique assez typiquement réunionnaise.
Depuis 1970, d'ailleurs, l'activité littéraire réunionnaise devient de plus en plus féconde, tant dans le champ romanesque et poétique que dans le champ éditorial ou dans celui des rcherches universitaires.
Un peu à l'opposé du mouvement de la créolie que nous venons d'évoquer, un autre mouvement se développe, rebuté par l'apolitisme de l'évêque Aubry. Plus militante, cette mouvance, qui prendra le nom de "créolité", entamera de vastes débats extrêmement vifs et passionnés avec celle de la "créolie", un des axes de débat étant la langue d'écriture : français ? créole ? français créolisant ? dans quelle graphie ? Ces débats sont un reflet de la situation de diglossie propre à l'île, où deux langues, l'une dominante (le français), et l'autre, longtemps profondément infériorisée et méprisée (le créole) s'affrontent. Profitons-en pour souligner, au passage, que les réunionnais sont viscéralement attachés à leur créole.
La littérature en langue créole réunionnaise lutte pour se construire, et c'est loin d'être facile, essentiellement en raison de la faible structuration du champ littéraire réunionnais (absence de grande maison d'édition, de moyens de large diffusion, coût du livre élevé le rendant peu accessible au réunionnais lambda, peu de travaux universitaires et encore moins de médiatisation et de prise en compte institutionnelle, quasi absence de références historiques solides, contrairement à ce qui concerne le français)
Pour en revenir à cette mouvance de la "créolité", nous citerons Alain Lorraine, dont le principal receuil, "Tienbo le rein", est dédié "aux zenfans la misér de ce pays qui naît", et Boris Gamaleya, reconnu comme le poète majeur de la modernité réunionnaise, aussi engagé que lyrique, qui fournit un impressionnant travail de langue. Boris Gamaleya forge sa langue poétique somptueuse dans la rencontre de mots et d'images empruntés à toutes les cultures composant la mosaïque de l'île. Son poème est un véritable kaléidoscope verbal.
De nos jours, le débat entre créolité et créolie tend à s'apaiser au profit d'une prise de conscience salutaire des écrivains réunionnais. Les deux courants tendent à perdre leur caractère tranché, à gauchir leurs motifs d'opposition. L'expression de l'identité réunionnaise en sort grandie et fortifiée, prioritaire, chaque poète cherchant, à sa manière, à la reconstruire et à briser , ce faisant, le mythe de "l'île-dépliant touristique".
De toute façon, le créole devient une langue littéraire assumée et l'ensemble de la littérature réunionnaise se recentre sur la Réunion, sur son histoire pleine de zones d'ombre, sur sa réalité complexe et extrêmement riche, sur ses contradictions qui alimentent la richesse des débats, sur son âme qui se cherche dans les bouillonnements, les mutations propres à l'époque actuelle.
III- LES THEMES.
La poésie réunionnaise est une poésie lyrique, profondément contemplative et profondément ancrée dans la relation ambivalente du réunionnais à l'île.
L'île est, à la fois, source de fascination et source d'inquiétude : on la célèbre, mais, dans la même mesure, on rêve de s'en évader, on la relie inconsciemment aux deux pôles opposés, extrêmes de l'enfance et de la mort.
Il faut, ici ,comprendre que la toute petite île est un espace restreint, limité, qui enferme et ne sécurise guère, en raison de sa situation de solitude et de fragilité, de sa petitesse face à la démesure de l'océan ou des éléments (tels que, par exemple, les cyclones, formidables forces destructives, qui, bon an, mal an, balayent les îles de l'Océan Indien, ou, plus particulièrement dans le cas de la Réunion, les éruptions volcaniques).
Ainsi, l'immense peut-il être vu comme le désarroi majeur d'une grande partie de la poésie réunionnaise.
La Réunion est bien petite-toutilîle-perdue dans l'océan indien, longtemps assez radicalement coupée des autres terres (notamment la lointaine France) par l'immensité des distances. Le réunionnais est sans cesse renvoyé à l'espace rond, matriciel, fragile et géographiquement cloisonné des son île. D'où son goût marqué pour la poésie descriptive, de type parnassien, son obsession de décrire, d'interroger sans cesse ledit espace.
L'île est donc centrale dans l'ensemble de la poésie réunionnaise. C'est la grande source d'inspiration.
Au départ, comme nous l'avons vu, cela s'explique peut-être par le fait que les poètes s'étaient trouvé coupés de leur sol natal par l'obligation d'aller vivre en France, souvent sans espoir de retour (cas de Bertin, Parny, Leconte). Ultérieurement, de toute façon, les poètes réunionnais ont toujours connu une rupture plus ou moins longue avec leur île et, quand ils y revenaient, ils étaient confrontés à une sorte de choc, l'île n'étant plus tout à fait celle qu'ils avaient connue dans l'enfance. Une sorte de sensation de déphasage, d'altérité en résultait.
La poésie réunionnaise est une poésie de l'espace. Elle exalte la luxuriance, la vitalité édénique, qui, pendant longtemps, hypnotise tant les poètes qu'elle s'avère incapable de les amener à esquisser une vision du monde plus inventive, plus intériorisée, au sens psychologique du terme. En un sens, c'est une forme de "blocage".
Cependant, dès les XVIII ème et XIX ème siècles, la vision de l'île en tant que paradis, que perfection naturelle pleine d'"ordre", de "luxe", de "calme" et de "volupté" est déjà troublée, voilée d'ombre, essentiellement à cause de l'histoire qui, loin d'être paradisiaque à l'instar de la géographie, est tragique, violente, source de tensions (esclavage, engagisme, situation coloniale par la suite), et, nous y revenons, de la situation particulière de l'île isolée, enfermée, en butte à l'hostilité de l'immense (le figement de l'île dans sa perfection de "minuscule joyau" est, alors, pour les auteurs, sans doute le moyen de conjurer une inquiétude sourde). Face à l'océan et aux éléments, l'île devient une sorte d'abri, de retraite où l'être s'exclut du monde.
Le désir de retraite apparaît souvent dans la poésie réunionnaise, qui, en ce sens, peut être vue comme une poésie très "matricielle", où l'île devient une espèce de métaphore de la "case", de l'espace le plus intime.
En contrepoint, l'immense favorise, stimule la contemplation et la dilatation de l'être (Lacaussade, Azéma)
Les poètes réunionnais attribuent fréquemment à l'île tous les éléments associés à la séduction féminine (thème de l'île-femme); leur "perle" est une ensorceleuse, qui tente de charmer l'immense, si proche, de l'apprivoiser, en quelque sorte.
Autre thème cher à cette poésie : l'enfance, thème sans doute relié à celui de l'éxil. Pour le poète réunionnais éxilé, l'île, ça reste l'enfance...mais c'est, aussi, l'endroit que, de tout son être, il aspire à rejoindre, à retrouver un jour, d'où le lien avec la fin de vie.
Etrangement, dans la poésie réunionnaise d'avant les années 1950, l'éden réunionnais n'est pas précisément un lieu où l'on désire vivre.
Carpanin Marimoutou l'explique :" [l'île] est par définition inaccessible. L'île est un mirage."
L'île est un paradis dans la mesure où elle conjoint la douceur de la prime enfance (source de nostalgie) et la sécurité de la mort tranquille (dans ses bras maternels) mais, pour le reste, l'existence réelle se déroule ailleurs, en France, espace de référence, espace dégagé de l'immense et, comme tel, sécurisant. Pour ces poètes, l'exil est loin d'être vécu comme malédiction.
Avec la poésie du XX ème siècle, les choses se modifient.
La perception change, avec la métaphore de l'île pei bato fou, l'île-navire à la dérive. Une fois de plus, l'immense est là. Mais c'est un immense désormais pleinement affronté, et assumé, à partir duquel les poètes pourront construire l'identité. Citons Albany : "Il faut se rendre compte de ce que cela veut dire "être réunionnais" : c'est se sentir différent aussi bien du français de France, du Malgache, de l'Indien de l'Inde, du Mauricien. L'important est de respirer l'air de la Réunion qui, à mon sens de poète, est un peu particulier, de boire l'eau de nos sources [...], de manger ce que nous mangeons [...]. Il y a une symbiose entre l'homme et le milieu."
Ces citations témoignent d'un profond sensualisme.
Dans la poésie moderne l'"air réunionnais" va acquérir la valeur d'une substance active, nourrissante.
La poésie réunionnaise devient une poésie des éléments, et, en particulier, du vent, de la "rumeur" portée par la brise, rumeur qui a le sens d'une continuité, donc d'une identité.
A propos de "Tienbo le rein" de Lorraine, Daniel Roche écrit : "[Lorraine] développe dans son recueil la genèse de l'île sur le mode d'une union de la mer et du volcan, de l'eau et du feu [...]. L'île grandit, mûrit, résulte d'une union, c'est à dire procède d'une genèse, entre dans l'histoire. Elle n'est plus une pure immanence. On pourrait dire qu'elle n'est plus passive."
"Plus passive"...c'est tellement important, pour un peuple qui fut si dominé !
A partir du moment où l'île, désormais, n'est plus passive, elle peut se permettre de fonder une civilisation bien à elle, qui lui appartienne en propre, une civilisation créole. La quête de l'identité peut se mettre pour de bon en marche. L'immensité est enfin devenue une dimension qui n'effraie plus, une dimension qui peut s'intégrer au vécu intime. Citons à cet égard Samlong :
"Il y a du soleil par la fenêtre
Du soleil en cascade dans chaque être,
Dans les doigts de frangipaniers en fleur
Qui nous murmurent un autre bonheur :
Cette immensité de l'âme créole". (Poème "Ile du sud et du vent", recueil "Valval"-1980)
L'imaginaire de l'île se trouve complètement vivifié par ce processus d'intégration, d'intimisation de l'immense, qui permet de dépasser à la fois le concept de l'île-prison et la nécessité d'une référence à un ailleurs (en l'occurrence, l'Europe, la France) pour se définir.
Auprès de cette rêverie de l'infini qui apparaît tellement centrale, se développent d'autres thèmes récurrents à la poésie réunionnaise :
- les rêveries de rivage
- les rêveries d'origine, auxquelles nous avons déjà fait allusion : il s'agit, en particulier, de mythes tels que la Lémurie, ou la genèse forgeronne, à savoir l'affrontement de l'eau et du feu.
- les rêveries sur les éléments matriciels (la Mère, la Nuit, la Nature) renvoient à une sorte de panthéisme sexuel qui s'oppose aussi bien au mysticisme épuré et éthéré du christianisme qu'à la pensée marxiste. Cette pensée-là est duelle : elle pose, en particulier, deux images antagonistes de la Mère : la Mère-Afrique sans cesse cherchée dans le but de se reconstruire, de renouer avec cet "autre bout de moi" dont parle (elle, au sujet de l'Inde, mais c'est la même problématique) la romancière mauricienne Marie-Thérèse Humbert : la part "maudite", souterraine, dominée, niée, marronne, la part de la mutilation qu'imposa le rouleau-compresseur, le "cyclone" colonial,et l'incontournable Mère coloniale, mi-marâtre, mi-protectrice.
A ce dilemme, à cette "schizophrénie", il n'est qu'une solution : la créolisation, comme processus d'unification complète et de réappropriation de soi-même. La nécessité impérieuse de cette créolisation s'impose à l'âme des poètes et littérateurs de l'île avec d'autant plus d'insistance que, je le répète encore, la poésie réunionnaise a été-et demeure- profondément marquée par l'influence de la littérature française, ce qui s'explique, bien entendu, par l'histoire et par le statut actuel.
Contrairement à leurs homologues mauriciens, les poètes de la Réunion n'ont jamais été tentés par le mode d'expression surréaliste.
Les influences qui ont le plus joué dans la poésie réunionnaise sont le romantisme, et le Parnasse de Leconte.
Mais, à côté de ça, les mauriciens Hart, Masson, de Chazal, Maunick, l'auteur indien bengali Rabindranath Tagore et les sud-américains ne furent tout de même pas sans influence.
Patricia LARANCO.
Le 24/06/05.
Cet article a été la matière d'une conférence donnée en 2005 dans le cadre des activités de l'association "Rencontres Européennes / Europoésie", à Paris.
LITTÉRATURE – Vinaye Goodary, professeur de Hindi au MGI.
(intervention en anglais) - Beau Bassin-Rose Hill
An introduction to the Mauritian Hindi writer : Abhimanyu Unnuth
Abhimanyu Unnuth features among the prominent Hindi writers in Mauritius. After experiencing a very difficult childhood and a life full of struggles, Unnuth has developed the art of expressing his feelings and emotions through a powerful genre of creative writing, i.e. the novel. He has expressed himself in other genres namely, poetry, short stories, essays, satires, biographies, plays, memoires yet he is a far better exponent of the novel. He writes about social issues which include atrocities on indentured labourers, culture, corruption and the empowerment of women.
2 ème et dernière conférence-débat: Abhimanyu Unnuth: social issues as depicted in his writings.
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